This Website needs Javascript to work properly. Please activate Javascript on your browser.

Russie

Céline Minard et Marion Poschmann ont voyagé à Moscou, Novossibirsk et Irkoutsk en mai 2018.
    Читать на русскомAuf Deutsch lesen
  • Céline Minard
    14.05.2018

    ROUGE.

    La première fois que j’arrive en Russie, les douaniers sont des murs, mon taxi m’attend depuis trois quarts d’heure, c’est un mur aussi. Je m’excuse en mauvais anglais, je tire de l’argent au bankomat et nous partons. Il reste mur tout le trajet, balaye toute tentative de communication d’un silence appuyé. Les rocades, les autoroutes, les avenues défilent sans que je sache où nous en sommes. Une demi-heure, quarante minutes, cinquante assise derrière le mur. Les avenues s’illuminent, les publicités apparaissent. Je commence à me dire que maintenant, nous sommes en ville, quand le mur se retourne avec un grand sourire et me crie comme un seul mot : RED SQUARE ! Il désigne l’espace vide à ma droite, plus loin la statue de Karl Marx, le théâtre du Bolchoï. La glace est brisée. J’y suis.

    Je reviens un mois seulement après mon tout premier voyage en Russie, grâce au Literarisches Colloquium de Berlin, et la place rouge n’a pas mauvaise mine.

    Le monastère Novodievitchi, est en fleurs, tous lilas ouverts, en brique, bardé de blanc aux fenêtres et aux piles, coiffé d’or. Les cierges étroits brûlent piqués sur des coupes rondes, une lampe à huile, rouge, au centre de chaque cercle sacré scintillant. Christel m’en donne deux, que je fiche avec émotion, petite flamme vacillante, devant une vierge à l’enfant, je sais pour qui. Le cimetière est plein d’herbes, d’herbes folles, de muguet spontané, de fleurs naturelles. Un jardin semé de petits bancs, où faire la causette avec les morts, fumer une cigarette, boire un verre, sentir passer le temps. Un cosmonaute, un téléphone, une vague, un sauteur à la perche, des militaires, des académiciens, la variété des régimes et des hommes. Et la tombe de Tchékov. Simple, blanche, la steppe tout entière dans son périmètre de fer forgé. Œillets clairs, bleus, violets, œillets rouges à son pied.

    Il fait beau, chaud sur la promenade plantée qui fait un bon tour de Moscou, où on venait se dire, pendant l’ère soviétique, ce qui devait rester hors de portée des micros.

    Avec Natalia, Les églises du quartier de l’Institut français sont silencieuses. Rouges cramoisies aux piliers gonflés d’un blanc éclatant, méditerranéen. Grec peut-être. Le parcours est doux, les escales sereines. Les iconostases commentées. Le mot pentecôte nous échappe à toutes les deux.
    En rejoignant Florian, Marion, l’équipe du Goethe Institut de Moscou, nous boirons une limonade allongée.
    Et à l’ombre de la Datcha, ensemble, du Kvas brun et du Morç d’un rubis acide, dans de grands verres.

    Michel Strogoff attend sous sa couverture de poche frappée de gueule et d’argent, que commence son épopée vers l’est. Elle a commencée.

  • Marion Poschmann

    ROUGE.

    Notre voyage commence sur la Place Rouge. On le sait, l’adjectif russe krasnejrouge, signifie également beau ; la Place Rouge est donc aussi la Belle Place, et en ce premier jour passé à Moscou, il me semble que ce que j’associais d’ordinaire au rouge russe, les œillets rouges, par exemple, ou l’Armée Rouge, disparaît de plus en plus derrière le beau, une surface lisse, une modernité affable, dans le centre du moins, là où les touristes sont à l’œuvre.

    © Marion Poschmann

    Je suis venue une première fois à Moscou il y a trente ans. Il n’y avait pas de publicité, pas de cafés, les rues étaient pleines d’ornières, et les miliciens postés à tous les coins de rues rendaient l’atmosphère menaçante. Aujourd’hui, on peut se faire photographier avec « Lénine » et « Staline » dans leurs costumes clairs devant le Kremlin, les routes sont parfaitement asphaltées, et cette voie rouge qui s’y dessine est une nouvelle piste cyclable, aménagée l’an dernier.

    Il y a trente ans, j’étais venue ici avec l’école, une destination plutôt inhabituelle à l’époque pour des classes ouest-allemandes. Je suis allée voir le mausolée de Lénine, j’ai acheté au GUM un sac à dos russe en lin qui sent aujourd’hui encore l’imperméabilisant, et un petit samovar électrique. Il n’y a plus de samovars au GUM aujourd’hui, on achète d’onéreuses machines à café électriques.

    C’est long, trente ans, et d’autres endroits dans le monde ont bien changé durant cette période, me dis-je pour m’empêcher d’avoir un regard trop nostalgique, un regret absurde de ce qui était pour moi le plus intéressant, le plus marquant : les larges avenues étrangement désertes, le vide sidérant dans les magasins, les rares articles apparemment si authentiques, qui respiraient l’Histoire. Ce vide n’existe plus à Moscou, tout comme il n’existe plus à Berlin, où on est en train de construire sur les derniers terrains vagues, de lisser au mastic les derniers impacts de balles.

    Lors de ce voyage de classe à Moscou, notre car était passé un soir devant une gigantesque piscine en plein air, au cœur de la ville. Éclairée par des projecteurs, on pouvait venir y nager jusque tard dans la nuit. À l’emplacement de cette piscine se tenait autrefois la cathédrale du Christ-Sauveur, la plus importante église de la ville. Elle a été détruite en 1931 pour laisser la place à un immeuble stalinien trois fois plus haut que l’église. Mais l’immeuble n’a jamais été construit, et on a finalement rempli d’eau les fondations. Pendant soixante-dix ans, elle a servi de terrain de sport et de lieu de détente à la population active, tandis que l’église a disparu dans la clandestinité, les intellectuels et les opposants découvrant leurs affinités avec la spiritualité et la religion orthodoxe. Certains écrivains underground de ma connaissance respectaient ainsi strictement le jeûne avant Pâques, c’était leur manière de résister.

    Station de métro Maïakovskaïa, © Marion Poschmann

     

    Église de l’Adoration, © Marion Poschmann

    La cathédrale du Christ-Sauveur a été reconstruite entre 1995 et 2000. Sa messe de Pâques est retransmise chaque année à la télévision. À la place des anciennes fondations, là où on avait logé le bassin de la piscine, se trouve à présent une église souterraine, l’église de l’Adoration, baignée d’une lumière rouge. Celle-ci vient de l’inscription « Christos voskresje » – « Christ est ressuscité », et remplit l’espace autrefois rempli d’eau. Un des monastères du mont Athos a fait don d’une icône à l’église de l’Adoration : Saint Nicolas le Thaumaturge verse des larmes rouge sang sur les soixante-dix ans d’existence de la piscine Moskva.

    La visite du Kremlin est elle aussi placée sous le signe des églises : la cathédrale de la Dormition, dans laquelle furent couronnés les tsars, la cathédrale de l’Archange Saint-Michel, où ils furent inhumés, la cathédrale de l’Annonciation, qui contient de prestigieuses icônes, notamment d’Andrei Rubliov, l’église de la Déposition de la robe de la vierge, qui était un musée à l’époque soviétique et est redevenue une église. En de nombreux endroits, le rouge soviétique semble être redevenu le rouge russe ancien, celui des joues paysannes, des motifs et costumes traditionnels, un rouge qui appelle littéralement le vert, sa couleur complémentaire.

    Les plantations du Kremlin, l’aspect beau du rouge, pour ainsi dire, m’intéressent au-delà du point de vue botanique : quelles plantes côtoient le centre du pouvoir ? Poutine, paraît-il, est le seul à résider au Kremlin. Tous les autres, dont Medvedev, travaillent hors les murs. Au sein du Kremlin, trois espèces végétales dominent : le bouleau, l’épicéa et le lilas. Les bouleaux revêtent leurs feuilles claires de printemps, les épicéas ont une forme magnifique et de délicates aiguilles, le lilas est en fleurs, nous sommes là au bon moment, celui où ces végétaux remplissent au mieux leur fonction représentative. Mais que représentent-ils, exactement ? L’immensité russe, l’âme russe, la campagne russe ?  Étonnamment, la plupart des plantes de jardin que l’on trouve en Russie sont issues de pépinières allemandes. Il paraît que leur qualité est inégalée. La plus grande pépinière d’Europe, Bruns, dans l’Ammerland, réalise une grande partie de son chiffre d’affaires en livrant des plantes destinées à orner les jardins d’oligarques russes. Les épicéas qui longent les murs du Kremlin (picea pungens glauca – épicéa bleu) viennent de Lorberg, dans le Brandebourg. On les change tous les vingt-cinq à trente ans afin qu’ils ne dépassent jamais le mur.

    Picea pungens Glauca, © Marion Poschmann

    Je ne trouve rien sur l’origine du lilas. La France a longtemps joué un rôle prédominant dans sa culture, mais au XXème siècle, Moscou est devenue un véritable bastion du lilas. On doit à Leonid Kolesnikov les variétés qui sont aujourd’hui les plus appréciées dans le monde : Krasavitsa Moskva – la Belle de Moscou. Galina Oulanova – qui tient son nom d’une prima ballerina. Polina Ossipenko – d’après une pilote d’avions de chasse. Sovietskaïa Arktika. Marschall Vassilevski. Kremlevskiye Kuranty – d’après l’horloge du Kremlin, une variété tirant sur le pourpre. Sans oublier Krasnaïa Moskva – Moscou Rouge, qui était également le nom d’un parfum à l’époque soviétique.

    Krasnaja Moskwa

  • Céline Minard
    15.05.2018

    RAILS.

    L’aéroport est vide, il est très tôt, la lumière est puissante. Il y existe un « je » neutre en allemand, impersonnel, « transcendantal » dit Marion. Il existe à Berlin une communauté turque qui écrit en arabe sur des topiques allemands. Il existe des écrivains de langue allemande, de langue française qui écrivent des livres japonais. L’île aux pins, étrangement japonaise.

    Dans l’avion pour Novossibirsk, Michel Strogoff quitte Perm en tarentass, à toute vitesse. Il sait que l’attelage ira tout droit, sans éviter aucun obstacle. Il est russe : ni les cailloux, ni les fondrières, ni les arbres renversés ne le dérouteront. L’équipage vole. L’avion le suit, suspendu à ses rails invisibles. Sans une secousse. Je rêve du transsibérien pour aller en Chine (« die Schiene »[1]) depuis des années.
    Nous savons maintenant qu’il faut s’armer de patience et de vodka pour la longueur du trajet. Sa monotonie, le sentiment de suspension temporelle qui saisit le voyageur dans l’infinie répétition du paysage. J’ai hâte d’être ralentie.

    Il faudra trouver la Talka, et la mettre au frais rapidement.

     

    [1]: « le rail » en allemand

  • Marion Poschmann

    RAILS.

    Nous prenons l’avion de Moscou à Novossibirsk et suivons le tracé du Transsibérien à dix kilomètres d’altitude. Peut-on imaginer un vol comme sur des rails ? Cela évoque l’abolition de distances énormes, un déplacement guidé, l’appropriation de l’immensité, le progrès. Nous traversons plusieurs fuseaux horaires, c’est une performance civilisationnelle admirable, d’avoir construit une ligne de chemin de fer ici, à travers les forêts, les marais, les terres non cultivables.

    L’immensité de la Sibérie devient perceptible lorsque nous atterrissons. Le fleuve Ob traverse la ville, large comme un lac, puis se perd dans les forêts. Les arbres feuillus, on le voit d’en haut, sont encore nus. C’est une tout autre saison ici, un pré-printemps, tandis qu’il fait 27 degrés à Moscou, où c’est déjà presque l’été. Nous ne visiterons malheureusement pas Akademgorodok, en banlieue de Novossibirsk, la cité de la science, la cité fermée, le lieu de la recherche secrète, ni le monument aux souris de laboratoire, ni le musée du soleil. Nous allons voir une construction de première importance : le pont sur l’Ob qui a permis de poursuivre la ligne du Transsibérien. La colonie d’ouvriers est devenue une ville. L’Ob fait environ un kilomètre de large, un temps il a partagé la ville en deux fuseaux horaires. Maintenant que de nombreux ponts traversent le fleuve, six en tout rien qu’à Novossibirsk, on ne se rend plus compte que la construction de ce pont fut un projet gigantesque. Le rail a rendu la Sibérie accessible, le rail a rendu nécessaire l’invention de fuseaux horaires.

    L’Ob, © Marion Poschmann

     

    Vue historique du pont

    Longtemps, un ferry a circulé sur le lac Baïkal, accueillant le train comme un tunnel pour lui faire traverser le lac, avant de le laisser poursuivre sa route sur l’autre rive. Même au plus étroit, le Baïkal est plus large que l’Ob. On n’a pas construit de pont ici, le train longe le lac pendant un moment, sans doute un des paysages les plus spectaculaires à voir à bord du Transsibérien.

    Ponts aujourd’hui, © Marion Poschmann

  • Céline Minard
    16.05.2018

    EAU.

    Dans un wagon bien peuplé, le courrier du Csar, incognito, remarque une jeune femme réservée. Longues tresses, beaux yeux baissés. Impassible pendant le déraillement, une nature.

    Le printemps n’a pas commencé à Novossibirsk. Le tarmac est balayé par le vent froid, les arbres sont nus. L’eau est partout, dans l’Ob, dans l’air, au sol, elle coule, elle goutte, elle pleut, s’étale, se vaporise, pèse, s’infiltre, se respire. Elle trempe les écureuils du parc, le béton et le bois massif des maisons en bois gardées des mauvais esprits par leurs castors blancs stylisés.

    L’hiver, on traverse l’Ob gelée en voiture. On cesse après que la première soit passée à travers la glace. La radio l’annonce. Ce ne sont pas les martinets ici qui présagent des beaux jours.

    Un gros orage a éclaté dans les monts Oural, Michel Strogoff manque y passer à un tournant du chemin, mais il est Sibérien, il se rétablit, maîtrise les chevaux, découd un ours et repart. Nadia, toujours stoïque, recoiffée après la tempête.

    Selon un auteur russe très connu dont le nom échappe pour l’instant à Natalia qui m’accompagne à la radio dans un taxi japonais sur des chaussées défoncées, il y a deux problèmes en Russie, les routes et les imbéciles. Et d’ajouter : lorsque les seconds sont sur les premières, ça fait mal.

    Rouge est synonyme de beau. Une fille rouge n’est pas nécessairement rousse, mais elle est belle. Le soleil est rouge. La place. Les églises. Les communistes. Et les immeubles staliniens bien plus hauts de plafond que les Krouchtchevkas.

    La discussion du soir est animée et tourne, à ma table, autour du réalisme métaphorique dont je n’ai aucune idée. La nourriture est grecque, le vin aussi. Quelques noms sortent : Alexei Parchikov, Nina Iskenkro, Ivan Jdanov, dont je prends note en espérant qu’ils soient traduits en français. Après les trois villages après Irkoutsk, s’étendent deux milles kilomètres de taïga où ne se croise plus un humain.
    Mon voisin Vitaly Shatovkin connaît bien ces étendues. Les loups y mangent les chiens la nuit.

    Dominante rouge des couvre-lits dans le wagon du transsibérien.
    J’y suis. Nuit noire.

  • Marion Poschmann

    EAU.

    Pêcheurs, © Marion Poschmann

    La journée commence sous une pluie battante. « Que feriez-vous pour résoudre les problèmes du monde ? » Ainsi commence l’interview que je donne à la revue Style, un magazine sérieux, qui ne se préoccupe pas uniquement de mode. Je ne m’étais encore jamais vue dans ce rôle, soumettre au monde des propositions détaillées de solutions pour quelque problème que ce soit, mais en Russie, apparemment, la parole de l’intellectuel vaut encore beaucoup. Je commence par tenter de diviser les grands problèmes du monde en sous-catégories pour ensuite, pars pro toto, les traiter les uns après les autres, confiante dans le fait que, si un problème en entraîne mille autres avec lui, le contraire est également vrai : lorsqu’on trouve des solutions dans un domaine, elles en apportent d’autres. Ou alors ce n’est qu’une goutte d’eau sur une pierre brûlante. Je commence par la nature et la protection de l’environnement, la disparition des abeilles et les espèces allochtones, et on en arrive vite à l’économie, l’immigration, la mondialisation, les problèmes du monde, quoi.

    Plate-bande, © Marion Poschmann

    La journaliste s’intéresse particulièrement au sujet de l’information. Il semble que le plus gros problème en Russie aujourd’hui soit le rapport à l’information. Que croire ? À l’époque soviétique, le discours de l’État était clair, on arrivait à lire entre les lignes, on n’était peut-être pas d’accord, mais on savait à quoi s’en tenir. Aujourd’hui, c’est la confusion. Exemple avec l’Église : autrefois, ceux qui se faisaient baptiser cherchaient un sens en dehors de l’appareil d’État. En étant chrétien orthodoxe aujourd’hui, on est dans le sillage du pouvoir.

    Plus tard, nous marchons au bord de l’Ob sous une pluie battante ; autour de nous, des fontaines et des trottoirs inondés.

    Fontaine, © Marion Poschmann

    Au musée des beaux-arts, une salle entière expose des tableaux représentant les neiges éternelles de l’Himalaya.

    Toute une partie du musée est dédiée aux œuvres de Nicolas Roerich. Il est à l’initiative du Pacte de Roerich, l’ancêtre de la convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Peintre, voyageur, il a également fondé avec son épouse Helena une secte d’inspiration théosophique.

    La première fois que j’ai vu ses tableaux, c’était à Moscou, il y a très longtemps. À l’époque, j’avais une amie qui s’appelait Marina. Marina était à mes yeux le prototype de la femme du régime socialiste. Droite, sûre d’elle, elle n’avait pas d’ambitions artistiques, menait une vie réglée, heureuse, elle était NORMALE.

    Marina vivait avec sa mère dans un immeuble moderne en périphérie de Moscou. Elle travaillait dans un laboratoire de chimie, et aimait coudre pendant son temps libre. Elle portait des chemisiers pratiques qu’elle avait cousus elle-même, et lorsque je lui rendais visite, elle préparait une salade avec du chou, des carottes, des petits pois et de la mayonnaise. C’est Marina qui m’a emmenée voir une exposition de Roerich.

    Toute seule, il ne me serait jamais venu à l’idée d’aller voir ces tableaux. Je les trouvais terriblement kitsch, ces paysages naïfs peints dans des couleurs psychédéliques, ces figures mythiques monumentales, presque insupportables, mais singulières, à leur façon. Cette exposition était un événement à Moscou. Elle a eu un succès incroyable. Les foules se pressaient de tableau en tableau, et nous y avions passé plusieurs heures. Qu’est-ce qu’ils ont de spécial ? avais-je demandé à Marina. Marina appréciait la force spirituelle des tableaux de Roerich. Jeune et ignorante, je n’ai pas cherché à comprendre, tout en trouvant incroyable que Marina, pourtant si avisée, s’intéresse à ce genre de choses ; ce n’est que maintenant, à Novossibirsk, que j’apprends qu’il a fondé cette secte d’inspiration théosophique, et que j’entends parler d’Helena Blavatsky.

    Le reste de la journée, les glaciers se déplacent. Nous pataugeons dans l’eau.

    © Marion Poschmann

  • Céline Minard
    17.05.2018

    TCHAÏ. THÉ.

    Et je vois enfin mon premier samovar actif ! Rond, blanc, plein, sous pression, nourri par une petite trappe de fonte au bois ou au charbon (je ne verrai malheureusement pas la manœuvre opérée par la cheffe de rame habile en tout en sa demeure). Il délivre une eau à 85° dont je me sers sans compter pour le plaisir de tourner le robinet et circuler dans le couloir. Pas de frigo dans les cabines, il faudra demander de la glace pour le coca-cola Baïkal – et la vodka.

    Une heure du matin : Sencha vert.
    Très mauvaise nuit.
    neuf heures : Black Tea.
    neuf heures quinze : Ceylon premium.

    Des pins, des bouleaux, une ligne ocre continue, un instant hérissée de maisons aux couleurs vives, des pins, des bouleaux, des pins aux pieds noirs, aux fûts rouges, aux faîtes verts, des bouleaux blancs striés de noir, quelques bourgeons bien tendres.

    Onze heure dix : Sencha de nouveau.
    Quatorze heure : Green Tea.
    Et ça suffit. Ensuite, ce sera de l’eau chaude. Parce qu’il est hors de question que je cesse d’aller visiter mon samovar au prétexte que je n’ai plus besoin de théine.

    La cheffe de rame veille à tout, elle sait tout faire. Ses gestes sont rituels, son espace absolument maîtrisé. Quand le train s’arrête, elle essuie la première rampe, soulève la plaque de fer qui bloque les marches, les déplie, essuie la deuxième rampe, trente centimètres de métal poli, descend. Postée en uniforme à la gauche de sa porte, elle garde un oeil sur qui sort prendre l’air et vise les nouvelles arrivées. Pendant les deux nuits et le jour que prendra le trajet jusqu’à Irkoutsk, je la verrai veiller dans tous les sens du terme : vérifier, trier, légiférer, prendre garde, prendre soin, ménager, rabrouer, ne pas dormir. L’accueil russe est complexe. Rude, d’une vraie douceur, qui n’est pas de contraste. Profondément touchante.

    Gros sachet du dégel infusé dans le fleuve après Krasnoïarsk. Immense, chargé.
    J’active ma lecture pour que Michel Strogoff arrive à hauteur de cette ville déjà dépassée depuis trois heures par les rails, mais il lui arrive trop d’aventures.

  • Marion Poschmann

    TCHAÏ. THÉ.

    Le train quitte Novossibirsk vers minuit. Avant de nous laisser monter, Lena, la contrôleuse, vérifie nos passeports et nos billets. Lorsque le train se met en mouvement, elle passe dans chaque compartiment, distribue des verres à thé, explique le déroulement des repas, et nous sommes invités à choisir dès maintenant les boissons auxquelles nous avons droit pour le voyage. Je choisis un Baïkal-cola et une limonade à la poire « Duchesse ». Mon compartiment prend des allures de débit de boisson car nous avions également fait nos provisions de notre côté.

    © Marion Poschmann

    Dans le couloir trône le samovar, laqué d’une peinture spéciale, résistant à la chaleur, un monstre, une pièce de machine qui fait avancer le train. Charbon et vapeur. Je le trouve inquiétant, ce samovar, et m’en tiens à d’autres boissons durant ce voyage. Peut-être aussi parce que Lena observe de sa place qui s’approche du samovar avec son verre à thé, tout comme elle contrôle tout ce qui se passe dans son wagon. Elle sait qui se lève à quelle heure, qui se rend au cabinet de toilette, elle efface les traces, elle porte un uniforme et un tablier de ménage, elle est partout. Elle a également à l’œil mon téléphone portable que je recharge à la prise du couloir. Elle est bien obligée d’admettre que moi non plus, ayant laissé la porte de mon compartiment ouverte, je ne le quitte pas des yeux, mais elle trouve qu’il est en équilibre précaire sur son siège rabattable. Elle tire un sac en plastique de mon sac, met le téléphone à l’intérieur, et l’attache à l’une des barres de sécurité. Il se balance au rythme du train, protégé, bercé par Mère Russie.

    Dehors, des bouleaux nus, des plaines brunes, marécageuses, çà et là une petite colonie de cabanes de bois ou de tôle ondulée. On devrait faire ce voyage en plein hiver, quand la neige est épaisse. On apprécierait d’autant mieux la chaleur du compartiment, la chaleur du ventre du train, cette caverne qui avance de kilomètre en kilomètre.

    Pourquoi, au temps de l’avion, prendre le Transsibérien ? – Le train s’améliore, l’avion se détériore, affirment deux voyageurs dans le wagon restaurant. Des gens de leur connaissance voulaient voyager avec un jeune enfant. Leur vol avait quatre heures de retard, et quand l’avion était enfin prêt, on avait voulu qu’ils paient 5000 roubles pour qu’on les emmène.

    Rumeurs et information. C’est le sujet numéro un en Russie. Est-ce qu’il est vrai que les femmes allemandes achètent des collants avec des poils pour dissuader les hommes de les importuner ? Sascha, le tireur d’élite, a vu ça à la télévision.

    Cette semaine, le journal Argumenty i Fakty publie surtout des articles sur le 9 mai, le jour de la Victoire. L’écrivain Yuri Bondarev est interviewé. Il fait partie des auteurs critiques envers la Perestroïka. Son roman La neige chaude traite de la bataille de Stalingrad.

    Un peu avant Irkoutsk, je m’approche pour la première fois du samovar avec mon verre à thé.

    © Marion Poschmann

  • Céline Minard
    18.05.2018

    MOUVEMENT.

    Immobile à l’hôtel, j’enchaîne les mouvements dynamiques dans Fé. Je saute sur des fleurs violettes qui s’ouvrent quand je chante fleur, je ne bouge que mes pouces, épuisée par la statique paradoxale du train.
    Le vent d’Irkoutsk est un bain, le mouvement de l’air dans l’air est égal au mouvement de l’eau dans l’eau, une puissance. Après trente-six heures de confinement, la sensation du vent dans le volume ouvert de la ville, au-dessus du fleuve Angara qui est une fille, peut-être une femme, c’est le baiser de la vie.

    Ne pas toucher terre était peut-être le but du voyage.

    Un homme âgé balaye les pavés devant l’ancienne église polonaise. Il tient son outil dans ses bras, pas dans ses mains, à la fois raide et souple, il a tout son temps, un bout d’espace. Des femmes relèvent la garde devant la flamme éternelle. Elles ont traversé la route comme des scouts, les pompons blancs à peine secoués sur les uniformes caca d’oie, à la queue leu-leu derrière le bâton tendu par la cheffe sur la voie complètement dégagée. Leur chorégraphie est au millimètre, leur tenue rituellement vérifiée une dernière fois sur la place, leur départ sonore, jambes haut levées, pas frappés. Rien d’une danse.
    J’apprendrai plus tard que ce ne sont pas des militaires mais les meilleures élèves d’Irkoutsk. Et qu’exercer l’immobilité absolue devant la flamme est un honneur.

    Carré de renne au restaurant mongol. Gras, délicieux. Et une entrée de charcuterie dont la traduction littérale donne « quand la viande et le saindoux roulent ensemble ».
    Dans les rues noires d’Irkoutsk.

  • Marion Poschmann

    MOUVEMENT.

    Après la Foire du Livre d’Irkoutsk, nous discutons avec un éditeur jeunesse de Moscou. Nous buvons des tisanes typiques de la Sibérie et de la Mongolie, « Taïga », un mélange de canneberge et de thym, « Sagaan Charaasgaj », mot bouriate signifiant « hirondelle blanche », au goût terriblement amer, et « Ivan-tchaï », une tisane très douce à base d’épilobe. L’éditeur de livres jeunesse écrit des poèmes pour enfants, il a présenté à la Foire un livre sur le lac Baïkal. – Ça n’existait pas encore ? Un livre sur le lac Baïkal ? – Il y avait bien une œuvre soviétique en trois volumes, bien trop longue. Il l’a adaptée, en a fait un petit livre lisible pour les enfants.

    L’éditeur est un adepte de la pensée positive. Il nous dit que beaucoup de gens se plaignaient en Union soviétique – pénurie, logements en mauvais état, rien ne fonctionnait – et qu’ils continuent à se plaindre aujourd’hui, ils  trouvent toujours d’autres raisons. Il a commandé un plat mongol qu’on lui apporte dans une casserole en terre cuite et que des pierres brûlantes gardent au chaud. Il sort régulièrement un galet gros comme un poing de son plat. On pourrait évidemment ne voir que les pierres et dire que ce pays sert à ses habitants des cailloux impossibles à digérer, plaisante-t-il.

    À Novossibirsk, nous avons rencontré des auteurs qui se définissent comme des poètes underground. Nous leur avons demandé ce qui définissait cet underground. Qu’est-ce que vous écrivez ? – Des poèmes pour enfants, mais pour les adultes. – À Moscou, nous avons rencontré Alissa Ganieva, dont j’ai lu le roman, une histoire de mariage arrangé et d’amour romantique au Daghestan, très drôle, très critique, très intéressant. Plus nous nous enfonçons dans la Sibérie, plus il semble que l’on accorde d’importance à la littérature jeunesse. Je me demande pourquoi.

    Dehors coule l’Angara, « notre » Angara, dit la guide, dans la nuit. Ce matin, j’ai vu des bancs sur la rive, sur lesquels sont gravés des poèmes. On s’arrête devant, on lit un poème, on s’assied, le regard tourné vers la rivière en perpétuel mouvement, adossé à ces vers sur Irkoutsk.

    © Marion Poschmann

     

    Angara, © Marion Poschmann

  • Céline Minard
    19.05.2018

    MASSE.

    Ce n’est pas un lac, mais une mer, ce n’est pas une mer mais un océan en formation. Et pourtant, ce n’est pas une masse. Le Baïkal qui nous accueille avec un temps radieux, de printemps installé, est d’une élégance aérienne. Bordé de brumes légères, de montagnes lointaines, il scintille, étal, bleu, profond. Des paquets de glace restent sous les piles du phare, mais il fait doux. L’eau est glaciale, un lac de montagne. Les omouls, les mini poissons gras, l’esturgeon, la carpe, le chabot, les crevettes carnivores circulent sans qu’on les voit, le plancton neige dans ses profondeurs de faille, un océan de montagne. On s’étonne qu’il n’y ait pas de baleines.
    Le Baïkal est colérique, il a jeté une pierre contre sa fille Angara qui rejoignait son amant. Elle reste fichée au milieu de la source tandis que la fille fuit encore, ne cesse de le faire et y parvient au cœur même de l’hiver alors que le père pris dans les glaces se hérisse de plaques et de piques tranchantes. Les Sibériens que Michel Strogoff arrivera à rejoindre au terme de son parcours, juste avant de toucher enfin Irkoutsk, aveugle, déterminé, amoureux, les Sibériens le savent, l’Angara ne prend pas, ne prend jamais. Elle charrie des glaçons à grand fracas, son cours connaît des ralentissements, mais rien ne l’arrête. Ni la colère du père, ni le froid extrême. Son mouvement ne peut être figé. On dirait qu’Ovide est passé là.

    Des télésièges nous emportent lentement jusqu’au point de vue Cherski. Une tyrolienne nous ramène à toute vitesse, suspendus à son rail unique, entre terre et ciel, un travion de plein air, tout droit.

    Les cabanons de plage sont rouge pétant et bleu Baïkal, on les loue à l’heure pour le pique-nique du soir. La lumière déclinante d’une grande clarté, se teinte de rose et de brumes avec la descente du soleil. Je baptise mes trois petits esprits de lac, à la vodka trois fois et dans l’eau qu’ils vont quitter.
    La soirée est magnifique. Quelques beaux ricochets.

  • Marion Poschmann

    MASSE.

    Irkoutsk est en plein essor. Les églises sont repeintes en un blanc éclatant, les vieilles maisons fraîchement rénovées, il y a des espaces verts partout, une zone piétonne historisante. Les remparts russes étaient censés protéger des Bouriates et des Chinois. La Chine est proche. Irkoutsk se trouve dans le même fuseau horaire que Pékin. Les touristes envahissent la région, et jettent leurs ordures le lac Baïkal. Des bénévoles du monde entier viennent tout nettoyer. Les riches sont dans leurs villas des rives du lac. Peu importe ce qu’il arrive, les riches semblent toujours pouvoir en profiter.

    © Marion Poschmann

    Tombants, eau thermale. Éponges du Baïkal, neige de lac faite de minuscules particules flottantes. L’omoul, un poisson qu’on ne trouve qu’ici. Le phoque du Baïkal est le plus petit et le plus gros phoque du monde. Une boule avec des nageoires.

    Il existe quarante vents différents autour du Baïkal. Lorsqu’ils se rencontrent, à 60km/h, ils créent des vagues de six mètres de haut. Le temps ne cesse de changer. Le soleil est déjà chaud, les vents d’une froidure inédite pour moi. Le lac est complètement dégelé.

    © Marion Poschmann

    On nous tient éloignés des chamanes. C’est une attraction touristique, on parcourt un long chemin pour aller les voir, pour assister à un rituel, boire un thé, ça ne vaut pas la peine, nous dit-on. Le chamanisme n’en est pas moins omniprésent. Les principaux points de vue sur le lac Baïkal sont décorés de rubans de couleur, conformément à la tradition bouriate. Où se termine le rituel, où commence la pollution ? Qui a le droit de fixer ces rubans, est-ce que tout le monde peut le faire ?

    Rubans, © Marion Poschmann

    À Listvianka, on trouve des stands de poisson fumé un peu partout. Tous prétendent fumer l’omoul, ce qui est strictement interdit. Est-ce qu’ils le font malgré tout, est-ce qu’ils font passer un autre poisson pour de l’omoul ? Partout, des colonnes de fumée s’échappent des fumoirs décatis. Chacun a sa propre musique, à plein volume.

    Le soir, devant l’hôtel, les touristes sont bruyants. Il fait déjà assez chaud pour s’asseoir dehors. Le lendemain, il neige.

  • Céline Minard
    20.05.2018

    OUBLI.

    La forêt non plus n’est pas massive. Les fûts droits des bouleaux, des pins, des trembles, leur frondaison discrète, les aiguilles laissent couler le soleil jusqu’au sol. Le tapis est souple. Les rhododendrons en fleur parsèment le sous-bois de tâches délicates, violettes. Grosses fourmilières en cônes, jonchées de feuilles larges, cirées vertes, rampantes, muguet, pas un ours. J’avais oublié la pente. Le nom et l’allure du tremble, le bruit du ruisseau dans la mousse. Je ne connaissais pas la nature particulière du froid qui me saisit au sommet, traverse les branches, les vêtements, la tête à travers le bonnet, je redescends en courant.
    Je n’oublie pas d’acheter des souvenirs au marché et de quoi me tenir chaud, écharpe et ceinture tout poil de chameau.
    Il neige.
    Les vagues grimpent sur la grève. C’est bien une mer.

  • Marion Poschmann

    OUBLI.

    Taïga claire. La « vraie » taïga, c’est la taïga sombre, celle où ne poussent que des conifères, où vivent les loups, les ours. La taïga claire est une forêt de bouleaux, de trembles, de mélèzes de Sibérie. Elle est magnifique en ce moment : les feuilles sortent, les rhododendrons sauvages dessinent des nuées roses dans les sous-bois, les tiques et les moustiques n’attaquent pas encore. Je n’avais jamais emprunté un chemin de randonnée aussi beau que le sentier du Baïkal. Les falaises sont abruptes, il neige un peu. Flocons clairs, troncs clairs des bouleaux, ciel clair gorgé de vent.

    Sentier du Baïkal, © Marion Poschmann

    Je me réveille plusieurs fois pendant la nuit, sans savoir où je suis. Sur quelle section de notre voyage, sur quel continent ? Au début du sentier de randonnée, des villas qui ignorent l’époque de leur construction. Des édifices faits d’imposants troncs d’arbres, vernis sépia, garage double.

    © Marion Poschmann

     

    © Marion Poschmann

    Plus tard, nous montons à cheval dans la taïga claire. Chemins boueux, clairières gorgées d’eau, bourrasques de neige. Nous sommes cinq cavaliers, accompagnés de plusieurs poulains, qui trottent dans la forêt, reviennent au galop vers leur mère, font d’étranges cabrioles. Printemps. En hiver, on peut louer un traîneau avec des chiens. Pendant les mois sans neige, les chiens participent à des courses, gagnent des coupes, des diplômes, ils continuent à s’entraîner. Chacun des chiens est attaché devant sa niche, il peut sauter sur le toit, se coucher sur une planche qui le protège de la boue. Les planches sont mouillées, les chiens nerveux. Un homme mène un veau à l’étable avec une longe.

    Chiens de traîneau, © Marion Poschmann

  • Céline Minard
    21.05.2018

    RETOUR.

    C’est à nouveau le printemps au bord de l’océan. Il est jeune et frais. Une dernière cigarette avec Olga, en plein soleil, j’apprends le nom des nuages qui s’amènent. Oblaka. Je prends le vent dans mes poumons, je dis ce qu’on dit à un lieu que l’on veut revoir un jour, assise cinq minutes, recueillie comme les Russes avant de partir.

    Dix-huit heures tout compris pour remonter le temps et les six mille kilomètres d’étendue déroulés à l’aller. Je ne sais plus tout à fait où j’atterris, quelle heure il est à Moscou, à Paris. Je rentre avec des cailloux du Baïkal pris dans les crans de mes chaussures. Je les entends crisser sur le bitume parisien. Je rentre chez moi et je m’aperçois que tout est petit.
    De quoi sont faits les voyages.
    Que nous apprennent-ils et celui-ci en particulier, oriental à souhait. Peut-être ce que savait l’imperturbable Nicolas au destin tragique, sacrifié au récit de Jules Verne, « La vie est « une hôtellerie de cinq jours », que bon gré mal gré, il faut quitter le sixième ».

  • Marion Poschmann

    RETOUR.

    Céline a lu Jules Verne pendant le voyage, elle a doublement voyagé. Je n’ai lu que quelques pages du livres que j’avais emporté, un roman policier russe contemporain, une histoire de chercheurs d’or en Sibérie, de secte, de lavage de cerveau. Je n’ai pas réussi à lire, j’étais trop absorbée par le voyage, comme en transe.

    Le jeune homme assis à côté de moi dans l’avion me tend son smartphone pour me montrer des photos amusantes de son chat. Il engage la conversation. Il me parle des marques de bière allemande importées par la société pour laquelle il travaille. Il me fait un petit exposé sur sa ville d’origine, les entreprises qui y sont installées, les stades de football, les attractions touristiques. Les gens me parlent pour pratiquer leur anglais. Puis il me montre une vidéo de ses collègues qui se baignent dans le lac Baïkal. C’était hier, je sais à quelle température était l’eau du lac. Ces gens sont plutôt bien en chair et ne restent que quelques secondes dans l’eau, mais ça me chagrine de ne pas avoir utilisé mon maillot de bain. Trop peu aventureuse, manque d’entraînement, trop distraite.

    Le jeune homme me raconte que la dernière mode en Russie, c’est de manger de la glace claire en buvant de la bière très brune. Ça au moins, je vais essayer.

     


     

    Le voyage de Céline Minard et Marion Poschmann a été réalisé en coopération avec le Goethe Institut Moscou et le Goethe Institut Novossibirsk.

    Les textes de Marion Poschmann ont été traduit vers le français par Stéphanie Lux et vers le russe par Tatjana Baskakova, ceux de Céline Minard vers l’allemand par Odile Kennel et vers le russe par Nina Khotinskaja.

Portrait Céline Minard: © Alexandre Isard, Portrait Marion Poschmann: © Heike Steinweg Suhrkamp Verlag
Übersetzung FR → DE: Odile Kennel, Traduction DE → FR: Stéphanie Lux, Translation DE → RU: Tatjana Baskakova, Translation FR → RU: Nina Khotinskaja